mardi 12 juin 2007

Notre Député : souvenez vous de "Santini, le cousin flingueur." (2004)

Vu sur le blog désormais effacé des Verts :

"Libération, no. 7084 Thomas LEBEGUE ; Paul QUINIO GRAND ANGLE, vendredi 20 février 2004, p. 38, 39

Avec son bagout, ses réseaux et son expérience politique, le maire d’Issy-les-Moulineaux tente sa chance en Ile-de-France pour l’UDF. André Santini risque de gêner le candidat de l’UMP, Jean-François Copé, face à Jean-Paul Huchon, président (PS) sortant.

Avec son bagout de fils de cafetier, sa bedaine d’homme politique bien installé, et sa réputation de boute-en-train, il n’avait, a priori, pas le profil de l’emploi. Pourtant, en prenant la tête de liste UDF des élections régionales en Ile-de-France, André Santini, 63 ans, maire d’Issy-les-Moulineaux depuis 1980, député des Hauts-de-Seine depuis 1988, a endossé les habits d’emmerdeur numéro 1. Il est parti en croisade anti-UMP en Ile-de-France, face à Jean-François Copé, porte-parole d’un gouvernement aux abois, dans une région où la droite, longtemps hégémonique, rêve de se refaire une santé sur le dos du socialiste Jean-Paul Huchon, le peu charismatique président sortant, candidat à sa succession.

André Santini candidat, c’est un chien dans le jeu de quilles francilien, qui espère rafler des voix à l’UMP comme à gauche. Le spécialiste ès-bons mots des couloirs de l’Assemblée nationale fait peur à ses adversaires. Dès que fut connue son intention de partir à la bataille, les chiraquiens ont sorti l’artillerie lourde pour l’en dissuader. Le principal conseiller de Jacques Chirac, Jérôme Monod, lui a proposé d’être tête de liste unique de la droite ­ à condition d’adhérer à l’UMP. « Je suis trop vieux pour ça ! », aurait répondu Santini. Trop rusé, surtout, pour laisser passer la chance historique pour l’UDF de s’emparer de la première région de France. Car « il y croit dur comme fer », assure une de ses relations. Les instituts de sondage le créditent de 17 à 25 % des intentions de vote, le plaçant parfois devant Copé. Et le président de l’UDF, François Bayrou, met la pression constante sur son protégé. « C’est mon coach », rigole Santini.

Une gouaille garantie pur bistrot

Santini soigne depuis des années son image d’amuseur public. Sa gouaille populaire, travaillée au
point d’en faire un fonds de commerce éditorial, lui garantit le succès dans les rues de sa ville, les studios radios (les Grosses Têtes) et sur les plateaux de télévision (Qui veut gagner des millions). « A 12 ans, il servait des coups de rouge et ramassait les mecs bourrés dans le bistrot de son père », raconte Pierre-Christophe Baguet, député UDF des Hauts-de-Seine. « Mettez-le sur un marché et tout le monde se pointe ! », témoigne son ami Hervé Marseille, maire UDF de Meudon. Même s’il fait un peu la gueule sur son affiche de campagne, sa boîte de communication attitrée (Euro 2C, proche de l’ex-RPR) lui a trouvé un slogan conforme à son image : « Retrouvons le sourire ». Un bon résumé de son pedigree. Plus proche des gens que des dossiers, quitte, parfois, à verser dans la démagogie. En décembre, le président du club des fumeurs de cigares de l’Assemblée nationale défilait aux côtés des buralistes victimes de la hausse du tabac. Aujourd’hui, dans son programme de campagne, il propose de « faire sauter les 60 principaux bouchons franciliens ». La solution ? « Utiliser la bande d’arrêt d’urgence dans un sens le matin, et dans l’autre le soir ». Fallait y penser. « Il est anti-énarque et fier de l’être », résume son ami Hervé Marseille. Huchon et Copé apprécieront.

Si André Santini a accepté ce rôle d’emmerdeur, c’est qu’il en est un. Un vrai, et beaucoup moins drôle qu’il n’y paraît. Derrière André qui « a l’air sympathique » se cache un Santini capable d’être « odieux ». « Une cérémonie de voeux à la mairie consiste à se faire traiter de cons pendant une heure », rapporte un employé municipal d’Issy-les-Moulineaux. « Je l’ai vu faire pleurer des gens en comité de quartier », racontent deux membres de l’opposition. Corinne Bord, conseillère municipale socialiste, parle d’un homme « autoritaire, méprisant ». Elle plaint encore cet ancien élu PS, « malade de trouille une semaine avant le conseil municipal ». La jeune élue se souvient d’avoir été traitée de « morveuse ». La condescendance a seulement cessé, dit-elle, quand elle a obtenu du tribunal administratif l’invalidation du règlement intérieur du conseil municipal pour non-respect des droits des élus minoritaires. Un article y précisait qu’un conseiller municipal d’opposition n’avait pas le droit de prendre la parole plus d’une fois par sujet... Un membre de l’administration confirme qu’André Santini trône sans partage du haut de sa pyramide municipale. « Autocrate » : le mot revient sans cesse chez les détracteurs de la tête de liste UDF. Son ancien directeur de cabinet, Pierre-Christophe Baguet, aujourd’hui député des Hauts-de-Seine, le défend en expliquant qu’un homme qui « bosse du matin au soir, y compris le week-end », n’a « pas le temps de faire confiance ». Sinon à lui-même et à sa bonne étoile isséenne.

Un « médialand » en Ile-de-France

Car Santini a un miroir dans lequel il se regarde chaque jour pour apercevoir sa réussite : Issy-
les-Moulineaux et ses immeubles aux parois de verre qui poussent comme des champignons. Il répète d’ailleurs à qui veut l’entendre : « Je veux faire en Ile-de-France ce que j’ai fait à Issy-les-Moulineaux. » Qu’a-t-il fait ? « Un médialand », selon sa propre expression. Jacques Séguéla (EuroRSCG) a été un des premiers à s’y installer en 1983, suivi par le journal l’Equipe en 1987, puis TPS, Eurosport, le groupe Marie-Claire, Compaq, Wanadoo, Cisco System, et, pour finir, Canal +. Une réussite économique que le maire s’approprie sans fard. Santini dispose d’un slogan pour chaque situation. Là, c’est « 70 000 salariés pour 63 000 habitants ! ». Cet ancien prof de droit fiscal est intarissable sur sa manière de draguer les patrons, parfois jusqu’au bout du monde, en anglais avec le PDG de Hewlett qu’il va chercher à l’aéroport, en japonais avec celui de Dunlop (il est diplômé des langues orientales et ne se prive d’aucune occasion de le rappeler). Un ministre UMP, fin connaisseur du département, fait remarquer qu’il faut « relativiser » ce boom économique : « Issy est située sous le robinet d’or », au coeur de la principale zone d’activité francilienne, à deux pas de Paris, dans le département le plus riche du pays, les Hauts-de-Seine.

Pour crédibiliser cette image de modernité et de dynamisme que lui confère l’expansion économique de sa ville, André Santini mise aussi depuis des années sur l’Internet. « Je m’y suis mis quand tout le monde croyait qu’Internet était une nouvelle marque d’aspirateur ! », plaisante celui qui n’a pas de téléphone portable. Conseil municipal d’Issy-les-Moulineaux retransmis en direct sur la toile, crèche municipale surveillée par des caméras numériques afin que les parents puissent se connecter, formulaires administratifs en ligne sur le site municipal... : bienvenue à Issy-les-Moulineaux-on-line. Du coup, pour sa campagne francilienne, il propose un nouveau gadget : la création d’un « gigantesque forum en temps réel sur Internet ». Ses ennemis ricanent : « Il ne sait même pas allumer son PC », confie, vachard, un de ses anciens collaborateurs.

Qu’importe. André Santini a décidé de jouer les « Monsieur Plus » de la campagne. Jean-François Copé propose d’instaurer une carte orange à tarif unique, 45 euros ? Le chef de file UDF réplique en suggérant la construction d’une sixième ligne de RER, Esope, pour Est-sud-ouest Paris express (reliant les Yvelines à la Seine-Saint-Denis, via Paris). L’idée, qui figure au schéma directeur régional 1994-2015, n’est pas saugrenue. Elle est aussi coûteuse. Le chiffrage à la louche de Santini : 800 millions d’euros. Le sujet n’est de toute façon pas franchement sa spécialité, lui qui ne se déplace jamais sans son chauffeur, et ignorait, il y a quelques jours encore, le nombre de zones RATP. Mais comme toujours, la communication, elle, est bien rodée. Un bon mot pour lancer l’idée : « On ne nous transporte pas, on nous roule ! » Une touche de mégalomanie visionnaire : « On montrera aux Français que les grands travaux sont de retour. »

Les grands travaux, Santini connaît. L’argent qui coule à flots dans les Hauts-de-Seine, du fait de la taxe professionnelle versée par les entreprises, lui a permis de lancer quelques projets aux dimensions pharaoniques. Celui du « fort numérique » vise à reconvertir une vieille caserne militaire de la ville en « cité du troisième millénaire », avec Internet et domotique intégrés Ñ un projet virtuel qui ne devrait pas voir le jour avant 2008. Le maire d’Issy-les-Moulineaux s’est également lancé dans un grand projet culturel : la création d’une fondation d’art contemporain sur l’île Saint-Germain, un des derniers poumons verts de la ville. Après un recours déposé par l’association écologiste Val-de-Seine-Vert, les travaux sont aujourd’hui arrêtés. Et la justice saisie de gros doutes sur un éventuel détournement de fonds publics via le syndicat mixte de l’île Saint-Germain, cofinancé par la ville d’Issy-les-Moulineaux et le département des Hauts-de-Seine ­ soit André Santini et Charles Pasqua.

Dans l’ombre de Charles Pasqua

Les deux hommes se connaissent en effet depuis trente ans et se sont rendu de menus services.
En 2002, Santini a, par exemple, pris la tête du Mouvement des élus locaux (Mnel), une association d’élus locaux de droite, proche de Pasqua. Or cette fonction lui vaut d’être aujourd’hui renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour « abus de confiance ». Des détournements de fonds ont été constatés au sein de la Mutuelle des élus, proche du Mnel, avant sa nomination. Mais la vraie base de repli d’André Santini depuis vingt ans, c’est le Syndicat des eaux d’Ile-de-France, ou Sedif, le plus gros syndicat intercommunal d’Europe. Budget : 470 millions d’euros, et 4 millions de Franciliens au bout des robinets grâce à une délégation de service confiée à la Générale des eaux. Celui qui se la joue modeste élu local est à la tête d’un impressionnant réseau d’élus et bénéficie de contacts privilégiés avec l’un des plus gros distributeurs d’eau du pays.

Malgré tous ses efforts pour se présenter en candidat de rupture voulant mettre fin à « la partie de flipper UMP-PS qui dure depuis vingt-cinq ans », Santini va donc avoir du mal à faire oublier qu’il est lui-même un pur produit du système RPR-UDF. Sous-ministre de Jacques Chirac dès 1986 (aux Rapatriés puis à la Communication), il a grandi dans l’ombre de Pasqua. C’est lui qui l’a « installé » à la mairie d’Issy-les-Moulineaux au début des années 1980. Lui, encore, qui lui avait promis sa succession à la tête du conseil général des Hauts-de-Seine, en 2001 ­ avant de se raviser. Depuis ce passage de témoin raté, le député francilien rêve de retrouver un poste d’envergure, de préférence ministériel. « C’est sa corde sensible », reconnaît l’un de ses amis, qui ajoute que les portes du gouvernement actuel, trop marqué UMP, lui sont pour l’instant fermées. En attendant mieux, Santini se contenterait bien d’ajouter sur sa carte de visite : président de la première région de France.

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