mercredi 23 avril 2008

"La galerie de Boulogne met en Seine l'architecture promise à l'Ile Seguin"


Quand un créateur devient la cible facile de la vindicte municipale, il convient de regarder à deux fois quels sont ses arguments... Faisons-nous donc notre propre opinion.





"La galerie de Boulogne met en Seine l'architecture promise à l'Ile Seguin
A Boulogne-Billancourt (92), le développement de l'Ile Seguin semble cristalliser les rancoeurs. Et, parmi les projets en cours ou à venir, nul autre que celui de galerie animée ne suscite autant de virulence de la part de ses opposants. Rarement un projet n'aura été aussi mal compris. Une chose est sûre : ce n'est ni une façade enveloppe ni une muraille.

Quand il s'agit d'évoquer la "galerie animée" conçue par Matthieu Poitevin (ARM), Stéphane Maupin et le critique d'art Jérôme Sans, "nous avons perdu la bataille des mots", se désole Jean-Louis Subileau (Grand prix de l'urbanisme 2001) directeur général délégué de la SAEM Val de Seine présidée jusqu'aux dernières élections municipales par Jean-Pierre Fourcade, l'ancien maire de Boulogne-Billancourt, battu à cette occasion par Pierre-Christophe Baguet (tous deux UMP).

Ce n'est rien de l'écrire tant les vocables utilisés diffèrent selon les angles pour parler d'un seul et même ouvrage. Alors que dès 2004, ARM gagne le concours avec le terme de "galerie d’art contemporain", en 2008 ceux qui soutiennent le projet et en ont compris le sens parlent effectivement de "galerie animée" (François Barré, ancien directeur de l'architecture et du patrimoine, Michel Desvigne, paysagiste et François Grether, architecte-urbaniste, à l'origine du projet urbain de l'opération Ile Seguin - Rives de Seine), de "façade promenade" (Christian Devillers, architecte), voire de "ceinture" (Rudy Ricciotti).
Ses opposants évoquent quant à eux une "honteuse 'façade enveloppe', muraille de 20m de haut", ou encore "cette muraille de 25m de haut (8 étages) et d’1km de long" ou plus simplement une "vulgaire façade" (Raphaël Labrunye, architecte sur la liste de Pierre-Christophe Baguet, dans des textes adressés à la presse durant la campagne) ou encore le "mur-façade" (Pierre-Christophe Baguet lui-même).


Comment peut-on passer de la façade-enveloppe des uns à la galerie d'art des autres ? Dans un sens, cette bataille des mots est sans doute le premier hommage rendu aux concepteurs de l'objet architectural. En effet, si les interprétations diffèrent à ce point est bien la preuve qu'il s'agit d'un ouvrage unique et d'une telle nouveauté qu'il n'est pas un mot précis pour le nommer, encore moins en décrire l'essence. Et Jean-Louis Subileau peut sans doute s'en vouloir puisque il est à l'origine, avec les concepteurs initiaux de l'île, du terme trompeur de "façade enveloppe".
Un retour historique s'impose. Fin 2003, la SAEM lance un concours dont l’idée est de préserver la mémoire du lieu, soit la forteresse qu’ont longtemps constituée sur l’île les usines Renault, sorte de post-scriptum alambiqué destiné à éviter une polémique comparable à celle lancée par Jean Nouvel qui accusait "Boulogne d’assassiner Billancourt". Le cahier des charges du concours était apparemment explicite. La ‘façade-enveloppe’, haute de onze mètres, devait respecter cinq grands principes : garder le socle de l'Ile Seguin, relevé à l'origine contre le risque de crue centennale de la Seine ; créer une promenade piétonne entourant l'île ; réinterpréter la façade enveloppe ; créer au centre de l'île un jardin d'environ quatre hectares ; enfin aménager un certain nombre de vues dans cette façade pour garder des transparences*.

Les équipes qui ont répondu au concours (cinquante six, puis douze, puis quatre) - y compris celle de ARM, au début - ont interprété le projet comme celui d’une clôture (pour faire court), alors même que l'idée de Jean-Louis Subileau était de "garder la forme bâtie de l'île et la maintenir au contact de l'eau". Ce sont les architectes de ARM qui ont finalement "l'intuition d'imaginer une promenade 'haute' capable de resituer, à plusieurs niveaux de références, les personnes physiques à l'échelle du paysage", explique ainsi Matthieu Poitevin. Plus qu'une promenade d'ailleurs puisque, dès le rendu du concours, lequel imposait de s’associer avec un artiste, les architectes ont proposé à Jérôme Sans, directeur du Palais de Tokyo, d’en inviter une "palanquée" pour s’approprier le lieu, "qu’ils participent à son imaginaire, pour en faire un lieu magique, vivant au rythme des calendriers et des expositions et des idées". "Ce lieu doit devenir 'la plus grande galerie d’art contemporain au monde'", disaient-ils. L'idée séduit le jury et ARM s'impose devant Dominique Perrault, Nicolas Michelin et Bernard Tschumi (excusez du peu). Ainsi, cette 'façade enveloppe' n'en est déjà plus une en 2004 tandis que les images du concours ne font pas justice, à l'époque, à l'inventivité d'un concept mal compris et d'emblée décrié sur un... malentendu.

Aujourd'hui, si le projet a évolué, son essence est la même. Il suffit, pour s'en convaincre, de monter sur le prototype en place sur l'île Seguin. Le rapport au paysage est absolument fabuleux puisque, à 12m de hauteur au-dessus du niveau de l'eau, le visiteur découvre un panorama inédit : dans un même coup d'oeil la tour Eiffel et La Défense ou les collines de Meudon et St Cloud, la vallée de la Seine, de Issy-les-Moulineaux jusqu'à Suresnes et toute l'activité du fleuve. L'île elle-même se donnera ainsi à voir de partout. A terme le quartier du Trapèze fera partie de l'image. De là-haut, l'évidence s'impose : la structure elle-même, en métal et bois, n'est ni une façade ni une muraille ni une enveloppe. Et le but que cette promenade devienne le support d'une galerie consacrée à l'art contemporain et autres animations à inventer n'en devient que plus plausible encore. "Il faut donner une valeur urbaine, et pas seulement spéculative, à l'art contemporain", argue Matthieu Poitevin. François Grether insiste que cette galerie "injustement comprise" est "un grand équipement culturel et ludique très original, écho contemporain de la colonnade de l’île des musées de Berlin". Elle apparaît en tout cas parfaitement complémentaire de la 'promenade' annulaire, avec ses embarcadères, au bord de l'eau. Elle sera en tout cas unique et un objet de visite en soi.

Cette galerie, large en son sommet de deux à huit mètres, n'est plus tout à fait virtuelle et cela n'a rien à voir avec le prototype. En effet, l'hôtel**** (Opéra Architectes), l'Université américaine de Paris (Jean-Paul Viguier), la résidence pour chercheurs et artistes conçue par Farshid Moussavi (FOA), qui ont d'ores et déjà obtenus leurs permis de construire, ont intégré dans leur conception même cette galerie. Un bar et des suites de l'hôtel s'ouvrent dessus, le foyer de la SMAC de Rudy Ricciotti (si elle est construite) également, le campus de l'université en tire profit autant que possible, etc.

Faut-il que cette "muraille" (sic) manque de sens et d'intérêt pour ces investisseurs, privés, d'accepter d'en financer la part du coût qui leur revient ? De fait, pour un budget global d'environ 20 millions d'euros, seulement 7 millions sont à la charge de la ville. Ce qui est peu au final pour un ouvrage à la structure légère et transparente qui, plus qu'un "balcon sur la Seine et la ville", plus qu'un objet architectural unique et ouvert à tous, plus qu'une galerie animée, plus qu'un lieu de rencontre, permet enfin, pour citer la SAEM de "maîtriser l'effet de morcellement qui résulterait de la succession de différentes réalisations". Une oeuvre qui tisse donc la cohérence globale des projets en cours sur l'île (quels qu'ils soient) tout en rendant à l'île Seguin un large pan de son histoire et son identité singulière car cette "enveloppe" n'aura jamais d'autre explication quant à son origine qu'une volonté de rendre hommage à un bâti antérieur symbole d'une aventure industrielle révolue."

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