Bientot des tigres sur l'ile Seguin ? ;-)
"Ile Seguin : De Fort-Boyard à l’Alhambra" par Raphaël Labrunye, architecte et historien de l’architecture.
"L’île Seguin est une danseuse ; parée des plus belles courbes sur Seine, elle esquive magistralement tous les nouveaux costumes qu’on lui prépare soigneusement depuis dix-sept ans et la fermeture des usines Renault qui l’occupaient. Le dernier en date semblait le bon ; annoncé en 2001, voté en 2004 par le conseil municipal de Boulogne-Billancourt, il devait, c’était promis, démarrer au plus vite. Resté à l’état virtuel (pas une seule pierre n’a été posée depuis), il est aujourd’hui confronté à une nouvelle programmation d’obédience élyséenne : un "jardin des sculptures". Ce dernier est aussitôt qualifié de "destructeur" par les tenants de l’actuel projet - réaction pour le moins étonnante quand toute la mandature a été exclusivement consacrée à raser intégralement le site, y compris ses plus beaux morceaux du patrimoine industriel. On crie au loup du coût financier d’un tel chambardement, en évoquant l’équilibre de l’opération, les éventuelles indemnisations des études déjà menées, et bien sûr les retards supplémentaires.
Curieusement, personne n’interroge les fondements de l’aménagement prévu, le seul prisme de luttes politiciennes intra-UMP suffit à nourrir gentiment la campagne municipale. Or, le projet est basé sur deux principes contestables. Un slogan trompeurLe premier est programmatique : tous les bâtiments "prestigieux" sont concentrés sur les 11ha de l’île, alors que la berge en face dispose de près de 50ha, et surtout de toutes les infrastructures de transport, services et activités diverses nécessaires au développement. Il a donc fallu imaginer un suréquipement de l’île pour desservir cette masse de près de 175.000m² de bâti : pont, passerelles, voies de circulation, tramway (non financé à ce jour), etc. L’ambition d’un pôle d’attractivité lié aux sciences et aux arts justifierait de telles dépenses. Or, de chercheurs et de laboratoires, il n’y en aura point : l’Institut National du Cancer (INCA), l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) sont des administrations; il s’agit simplement de bureaux, fermés le soir et le week-end. L’Université Américaine, concentrée en deux bâtiments fermés au public, forme essentiellement à la Finance Internationale et aux Sciences Sociales. C'est-à-dire qu’il n’y a aucune interaction à attendre de tous ces programmes avec le seul équipement culturel prévu, une SMAC (Salle des Musiques Actuelles), entièrement à la charge du contribuable boulonnais (25M€). "La Cité des Sciences et des Arts" promise reste donc pour le moment un slogan trompeur.
Fort Boyard-sur-Seine
Le second principe est volumétrique : la densité des constructions se traduit par un ensemble de gros cubes, pouvant monter jusqu’à 42m (14 étages) par rapport à la berge, et tous différents les uns des autres – chacun veut avoir la "signature" de "son" architecte. Est sorti alors de l’imagination des aménageurs, le curieux concept d’un packaging, appelé "façade enveloppe", pour habiller l’ensemble d’une façon plus sexy. Cette muraille de 25m de haut (8 étages) et d’1km de long occultera pour longtemps les coteaux boisés de Meudon, à quelques percées visuelles près. Avec son deck-promenade situé à près de 20m (6 étages) au-dessus de l’eau dans une vallée ouverte aux vents, cette "vulgaire façade", comme l’appelait M. Pinault, coûtera la bagatelle de 8 M€ à la ville seule. Le prétexte serait de rappeler la mémoire du site et de l’ancienne façade de l’île. Sans revenir sur l’inintérêt que représente la reconstruction d’une chose que l’on s’est évertuée à démolir, l’argument mémoriel est fallacieux : le baser uniquement sur une façade (1), c’est dénier à l’histoire industrielle tous les fascinants espaces intérieurs qu’elle a pu proposer, témoins de si lourdes charges de travail et de fortes solidarités humaines. Du mythique "krach des ouvriers", on est ainsi passé à un (beau) Fort Boyard-sur-Seine. Malgré un tel coût global - financier, environnemental, mémoriel - M. Fourcade, ex-maire et futur candidat à la mairie de Boulogne Billancourt (si vous avez suivi le feuilleton), continue obstinément à défendre ce projet. 11ha, c’est exactement la surface de l’Alhambra à Grenade : faisons tomber les murailles et gardons palais, jardins, fontaines, hammams, pour l’attractivité du site, pour les finances de la ville, et pour le plaisir de tous."
Bon, il y a encore un peu de chemin avant d'atteindre la beauté d'une telle cité !
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