mardi 3 juin 2008

"L’île Seguin replonge"

AUP

Smac


Levée de voile sur la stratégie de notre nouveau maire... Ces allégations paraissent particulièrement inquiétantes, tant la mauvaise foi et la cupidité semblent apparaitre au grand jour...


Une pompe à financement occulte, pour un retour d'ascenceur pour une investiture arrachée contre promesses ...?





Libération :





Le nouveau maire UMP de Boulogne-Billancourt a retoqué le projet d’aménagement de l’ancien site Renault, incluant notamment une université américaine. A la place, un programme flou qui pourrait déboucher sur une opération immobilière plus banale.



SIBYLLE VINCENDON
QUOTIDIEN : mardi 3 juin 2008






"Avec un sens remarquable du contretemps, le nouveau maire UMP de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet (1), détricote l’île Seguin. Au moment même où l’on pense au Grand Paris et où l’on repense à Mai 68. L’élu local traite ce haut lieu de l’agglomération parisienne et de la mémoire ouvrière comme un simple aménagement de quartier. Pour commencer, il évacue sans égard l’Université américaine de Paris (AUP), qui devait entamer cette année les travaux de son campus. Victime collatérale d’une guéguerre interne à l’UMP, ce projet culturel de bon niveau pourrait ne pas voir le jour parce que le nouveau maire, ex-UDF tôt rallié à Sarkozy, règle ses comptes avec l’ancien, Jean-Pierre Fourcade. Vieux gaulliste, celui-ci s’était choisi un autre successeur : il a perdu. Son ennemi intime est aux manettes et, sur l’île Seguin, il démantèle le travail entrepris par l’équipe précédente.



Vingt ans ont passé depuis que Renault a annoncé la fermeture de ses usines de Billancourt. C’était une des plus prometteuses opportunités urbaines autour de la capitale, ce fut une série de déconvenues : attentisme de Renault ; démolition du bâtiment spectaculaire de l’usine ; consultation d’urbanisme annulée puis recommencée ; épisode pitoyable de la Fondation Pinault annoncée puis retirée par le mécène.



Depuis quelques années, se dessinait malgré tout un projet d’île dite «des deux cultures», scientifique et artistique, dont les pièces commençaient à s’ajuster. Une silhouette architecturale avait été prévue pour unifier l’île, avec un système de galerie-enveloppe, inédite en France, qui évoquait la linéarité de l’ex-usine, dégageait des transparences et offrait une promenade publique. Une sortie par le haut semblait se dessiner. C’est cela que Baguet met maintenant à terre. A peine élu en mars dernier, il a viré Jean-Louis Subileau, grand prix d’urbanisme et directeur général de la société d’économie mixte de pilotage, la Saem Val-de-Seine. Le nouveau maire promet «un projet plus vert». Il dresse au fil des interviews une longue liste de ce qui ne se fera pas, sans souci de l’avis des intéressés dont certains sont pourtant titulaires d’un permis de construire. Tout s’écroule, une fois de plus. Reprenons.



Rejet le plus surprenant, celui de l’American University of Paris. Dès le 1er juin, dans une interview à 20 Minutes, Baguet affirme : «Le projet d’université américaine de Paris vient d’être abandonné par son partenaire financier, la New York University, donc le problème est réglé.» C’est faux. «Je ne sais pas avec qui la mairie a réglé le problème, dit Gerardo Della Paolera, le président de l’AUP, mais pas avec nous.» Il admet tout à fait que le partenariat avec la New York University (NYU), qui apportait 10 % du financement total, a été abandonné. «Mais la faisablilité de notre projet ne dépend pas de l’apport de fonds de la NYU», poursuit-il. Quand on lui demande s’il envisage d’abandonner, il répond : «Non. Notre projet est le plus important pour la ville de Boulogne du point de vue dynamisme.»



Un tel projet, c’est en effet le cadeau dont rêve tout élu. L’AUP, créée en 1962, est un équipement culturel entièrement financé sur fonds privés, détenteur d’un vaste réseau international et fonctionnant sur le rythme permanent propre aux campus américains. 1 200 élèves de plus de cent nationalités, une grande conférence annuelle, des présentations hebdomadaires de travaux de chercheurs, un centre de recherche et de rencontres autour de la traduction et de multiples résidences de chercheurs et de professeurs invités. Cette ruche reçoit du beau monde. En 2006, tandis que les relations franco-américaines ne sont pas au mieux, l’AUP en fait le thème de sa grand-messe annuelle et réunit anciens ministres, militaires et intellectuels.
«C’est un dossier difficile à gérer»



Dans une ville comme Boulogne, qui malgré ses 100 000 habitants, ne possède aucun établissement culturel majeur, cette implantation est une chance. Les deux bâtiments de l’architecte Jean-Paul Viguier, pour l’hébergement des étudiants et pour les enseignements, comportent quantité de dispositifs ouverts sur l’extérieur : cafétérias, librairies, agora, amphithéâtre… «Toutes nos manifestations sont ouvertes au public», explique Perrine Delobelle, chargée de mission auprès de la présidence de l’AUP, qui développe aussi depuis quelques années un projet baptisé The arts arena, «embryon de notre futur centre culturel sur l’île Seguin».



Pour son campus, la présidence a hésité entre deux sites, Paris rive gauche et l’île Seguin. C’est le projet global d’île «des deux cultures» qui l’a décidée, parce qu’il comportait une résidence pour chercheurs et artistes, mais aussi la venue de l’Institut national du cancer, acquise, et celle du CNRS et de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), à l’étude. «Nous avons adhéré complètement à cette idée de pôle, résume Perrine Delobelle. Nous avions commencé à rencontrer l’Inserm et le CNRS autour d’un futur master en économie de la santé.» Pour une collectivité locale, un établissement comme l’AUP est un produit d’appel. «Nous sommes très internationaux, poursuit-elle. Nous avons des contacts avec énormément d’institutions internationales, d’universités, de musées. Nous pouvons être un point de contact pour d’autres projets sur l’île.»



L’AUP préparait son arrivée depuis trois ans et ne dispose guère de plan B pour quitter le patchwork de six adresses qu’elle occupe dans le VIIe arrondissement de Paris. Elle n’attend plus que le second de ses deux permis de construire, document qui aurait été validé mais n’est pas encore délivré. Della Paolera est dans une situation déplaisante : Baguet parle à sa place tout en ne le contactant pas. Et même si le projet redémarre, le campus risque de se retrouver un jour dans un environnement de promotion immobilière sans rapport avec le contexte scientifique et artistique promis.



Les professionnels du bâtiment, eux, ont été contactés par la nouvelle municipalité. Le maire a déclaré à 20 Minutes qu’il négociait pour la résidence chercheurs-artistes, cofinancée par la Caisse des dépôts et l’investisseur ING, bénéficiaire d’un permis. Contactés à plusieurs reprises, ni la Caisse des dépôts, qui agit avec de l’argent public, ni ING ne nous ont répondu. Autre preneur ferme, le promoteur de l’hôtel quatre étoiles, Cogedim, s’est vu prié d’aller l’exporter sur la terre ferme par Baguet qui, toujours lors d’une interview, a dit qu’il préférerait «un hôtel de charme». Une idée qui fait sourire Jean-Luc Brohard, président de Cogedim entreprise. Plus sérieusement, il ajoute dans la foulée que «c’est un dossier difficile à gérer». Mais il ne veut pas vider les lieux. «C’est un site exceptionnel, une des plus belles boucles de la Seine. Nous restons très attachés à la réalisation de quelque chose sur l’île.» Et l’on peut faire confiance à ces spécialistes pour ne pas céder sans compensation solide.



Comment en est-on arrivé là ? Par la politique. Etre membre de la majorité municipale n’a pas empêché Baguet de combattre continuellement l’ancien maire de droite Jean-Pierre Fourcade, 78 ans. Peu avant la fin du mandat, l’édile démissionne au profit de son premier adjoint pour barrer la route à l’ambitieux. Raté. Ex-UDF, Baguet obtient l’investiture UMP en remerciement de son prompt ralliement à la bannière de Nicolas Sarkozy. Fourcade tente alors de le contrer en se présentant, mais en vain. Et voilà que pendant la campagne, Georges-Marc Benamou, encore conseiller culturel à l’Elysée, annonce, dans une interview à Libération, que l’île Seguin accueillera «un jardin de sculptures».
«Benamou a mis la pagaille»



Baguet ne se rallie pas à cette fantaisie mais sort de sa manche un projet alternatif, «ensemble culturel international valorisant et profitable à tous les Boulonnais». En fait, un plan de l’île d’une pauvreté consternante ramenée aux documents produits depuis des années par la Saem Val-de-Seine. Et un programme du même tonneau où voisinent guinguettes, halle pour défilés de mode ou marchés de noël, spa, commerces, restaurants, port fluvial, tous rangés sous l’étiquette d’ «activités culturelles et de loisirs». Certaines propositions veulent tout et rien dire, comme le «parcours culturel». D’autres, comme ces 40 000 m2 de sièges de télévisions et de radio sont risibles au vu des ambitions affichées d’ «espace vivant, attirant», quand on connaît les mornes abords de TF1 à Boulogne même. La conception de ce collage est sous la houlette de Daniel Janicot, conseiller d’Etat, qui n’a jamais exercé aucune fonction opérationnelle en urbanisme.
Toute cette confusion semble masquer l’objectif de fond : faciliter des opérations de promotion immobilière banales et rentables comme on en voit partout dans le département. Car on peine à comprendre pourquoi le nouveau maire ne veut plus de la résidence chercheurs-artistes pour promettre à la place une «villa Médicis d’accueil d’artistes» (dans son bulletin de campagne). Ou annule la future salle des musiques actuelles dessinée par l’architecte Rudy Ricciotti, prête à démarrer, au profit d’une «salle de concert ouverte comme à Sidney ou Chicago» (interview à 20 Minutes), pas lancée et pas financée. Des promesses rideau de fumée ?



Baguet assure que «l’Etat et le département apporteront leur contribution». Interrogé par Libération, Patrick Devedjian, président du conseil général des Hauts-de-Seine, reste prudent et lâche au passage que la salle des musiques actuelles, il trouvait «ça pas mal». Sur l’université américaine, «l’ambassade des Etats-Unis m’a prévenu qu’elle ne cautionnait plus moralement le projet», affirme-t-il. Il croit savoir qu’il fallait y «mettre des fonds publics» - ce qui est faux. Et il met la confusion sur le dos de «Benamou, qui a mis un peu la pagaille». Bien joué, le renvoi vers l’Elysée. Le silence du Château est assourdissant. Nicolas Sarkozy a lancé personnellement la consultation internationale sur le Grand Paris, avec ce que la démarche comporte d’appel à la matière grise. Pendant ce temps-là, il laisse un second couteau de son parti promettre un avenir de guinguettes et de marchés de Noël au plus bel endroit de la Seine près de Paris.



(1) Contactés à de multiples reprises, ni Pierre-Christophe Baguet, maire de Boulogne-Billancourt, ni Daniel Janicot, président de l’association de préfiguration de l’île Seguin, n’ont voulu répondre à nos questions."

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